Patañjali apporte dans ce sutra une définition de rāga kleśāḥ, l’attachement extrême (l’avidité, le désir, la passion). Il mentionne notamment son origine.
Lorsque quelque chose est bon, nous avons envie d’y revenir, de reproduire ou de retrouver les mêmes saveurs dans le futur, n’est-ce pas ?!
Ce n’est pas forcément néfaste à la confection du bien-être, car d’expériences en expériences nous façonnons une connaissance de nos goûts envers les personnes que nous côtoyons, les choses que nous expérimentons, les idées que nous avons. Le but étant ensuite de confectionner, quand cela est possible, un univers plaisant autour de nous.
Le problème n’est donc pas le plaisir en tant que tel.
La difficulté résulte dans l’émotionnel créé par ce lien tissé vers l’agréable.
En effet, des connexions profondes peuvent se créer, tel l’amour envers une personne par exemple.
De cela peut résulter des fonctionnements psychologiques extrêmes, telles la dépendance et la névrose. A ce stade, on peut parler d’attachement excessif, d’avidité envers la source de plaisir. Ainsi, quand cela est établi, il est inimaginable de rompre ou de se passer du lien donnant accès à la source de plaisir.
La mémoire en est l’une des causes.
Exemple avec le chocolat Le ‘plaisir’ est issu de l’éclat de saveur en bouche, dont la résultante est une joie émotionnelle forte. Le ‘lien’ vers ce plaisir est matérialisé par l’action qui est de « prendre le chocolat et de le manger ». La mémoire enregistre aussi bien l’expérience (l’action), que sa finalité (le plaisir), en les associant. Enfin, le souvenir donne envie de recréer le lien menant au plaisir, et en final de remanger du chocolat!
Si on laisse le chocolat dans sa boite alors on rompt le lien avec le plaisir. Cependant, la mémoire est là pour nous rappeler à quel point ce plaisir, issu de la joie émotionnelle de manger le chocolat, est bon. Et l’on est malheureux.
Dès lors, le but du mental, s’il n’est pas canalisé vers autre chose dans l’instant présent, sera de tourner en boucle dans l’imagination de retrouver le plaisir. L’envie intellectuelle se transforme ainsi en désir ardent. C’est un état d’attachement, d’avidité. Et l’on souffre.
Le coupable est-il réellement le plaisir ?
L’attachement résulte effectivement du plaisir. Toutefois, si l’on est capable de faire preuve de tempérance, le plaisir ne pose plus de problème et devient exclusivement source de bien-être. Tout l’art consiste donc à accepter et maitriser l’explosion émotionnelle qui suit le plaisir, en laissant de côté la petite voix intérieure qui nous suggère intensément de répéter l’expérience.
Le problème est-il d’avoir une bonne mémoire ?
Le souvenir d’une expérience agréable peut surgir à n’importe quel moment. Un contexte en particulier, même anodin, un parfum, une rencontre, un mot sur un cahier, une chanson, un papillon qui passe, tout est prétexte au souvenir. Dans ce cas et en un éclair, il y a résurgence mentale du plaisir physique et émotionnel passé. Et comme lors de l’expérience initiale, le mental explose de joie, car il se souvient subitement. Ensuite et également, comme par le passé, la seconde vague apparaît offrant l’explosion émotionnelle de manque, incitant à recréer vivement l’accès au plaisir (le lien).
Ainsi, on retrouve l’idée que ce n’est pas forcément le plaisir originel qui pose problème, mais l’envie de répéter l’expérience. Cela constitue l’attachement.
Avidité versus Amour :
« C’est MA femme ! » « C’est MON homme ! »
Il y a bien entendu derrière c’est pronoms possessifs la signature d’un égo démesuré (asmitā kleśāḥ – YS II.6).
Cependant, rāga kleśāḥ n’est pas loin non plus. En effet, l’Amour porté à l’autre, tellement beau lorsqu’il est inconditionnel, se transforme en attachement extrême par méconnaissance (avidyā – YS II.4).
« Je t’aime tu es la mienne, je t’aime tu es le mien. » « Tu es à moi, tu ne peux pas faire ce que tu veux car nous sommes attachés, toi et moi ».
Attention ici. Ne pas se dire que l’on ne peut pas vivre sans l’autre, ou inversement que l’autre ne peut pas vivre sans moi ! Personne n’appartient à personne, sauf en cas d’esclavage. L’amour est-il un esclavage ?
« Que vais-je devenir si tu pars ?! » Malheureusement, rāga kleśāḥ est source de bien des souffrances.
Voilà donc tout l’enjeu du yoga : tenter d’intervenir intelligemment pour enrayer ce processus. La solution est la maîtrise du psychisme. Pour cela, répétons l’affirmation suivante :
« L’acquisition de connaissances justes est la seul alternative. Elle passe par l’apprentissage, le discernement, la connaissance de soi, la pleine conscience. »
Patañjali nous a déjà donné un moyen d’aller dans ce sens : le kriyā-yogaḥ vu aux YS II.1 et YS II.2. Deux autres propositions vont être soumises dans les sutra YS II.10 et 11.
La méditation et l’attachement
Avec l’aversion, l’attachement est l’une des deux colorations mentales les plus facilement visibles. Être témoin des attachements et des aversions est une compétence nécessaire à développer. Cela permet d’étiqueter les pensées comme étant colorées. C’est l’étude de soi (svādhyāya – YS II.1) proposée dans le kriyā-yogaḥ dont le but est, encore et toujours, de se connaître : un apprentissage nécessaire pour tenter contrôler ses pulsions.
On vous propose un deuxième morceau de chocolat ? 😉