Patañjali apporte dans ce sutra une définition de dveṣaḥ kleśāḥ, la détestation (également traduit par l’aversion, le désamour, la haine). Il mentionne notamment son origine.
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Duḥkha se réfère au malheur, au chagrin, à la douleur, à l’angoisse, à l’agonie, à l’affliction, à la misère, à la souffrance, aux ennuis, aux difficultés, à l’adversité, à toute action qui cause de la douleur.
Signification de « anuśayī »
anuśayī (en translittération) : qui repose sur, qui accompagne, qui suit de près.
Anuśayī donne la relation existante entre la détestation et le déplaisir : le premier est une conséquence du second.
Nous avons parlé de rāga, l’attachement extrême, dans le sutra précédent (YS II.7). Eh bien, dveṣa désigne l’autre face de la médaille : l’aversion. C’est la prudence qui se transforme en rejet, en répulsion. Dveṣa est très en lien avec la perte de confiance.
Quelle est la particularité de l’aversion ? Elle est engendrée par avidyā : la méconnaissance à corrompu la vigilance.
La détestation fonctionne sur le même principe que l’attachement vu au sutra précédent (YS II.7), mais elle est en lien avec le déplaisir, l’amertume, les blessures.
Lorsque quelque chose n’est pas agréable à vivre, nous n’avons pas envie d’y revenir, de reproduire ou de retrouver les mêmes saveurs dans le futur, n’est-ce pas ?!
Ce n’est pas forcément néfaste à la confection du bien-être, car d’expériences en expériences, nous façonnons une connaissance de nos goûts envers les personnes que nous côtoyons, les choses que nous expérimentons, les idées que nous avons. Le but étant ensuite d’élaborer, quand cela est possible, un univers plaisant autour de nous.
Le problème n’est donc pas le déplaisir en tant que tel. Ce dernier permet même parfois de se protéger de certaines situations et de façonner une habitude de vie qui s’appelle la prudence, la vigilance. C’est un réflexe essentiel face à l’inconnu.
Cependant, tout comme pour l’amour, la difficulté résulte ici dans l’émotionnel créé par ce lien tissé avec une expérience désagréable.
Selon le contexte, des marques intellectuelles profondes peuvent être entachées de couleurs vives. On parle ici d’imprégnations mentales et de sentiments dont les déclinaisons ne manquent pas. Selon le contexte : désintérêt, désamour, antipathie, rejet, répulsion, détestation, dégoût, répugnance, phobie, haine, xénophobie, racisme…
Et cela est réactivé à chaque fois que nous rencontrons une situation analogue.
La mémoire en est l’une des causes. Alliée à l’imagination et à l’anticipation, elle amène son lot de préjugés et d’a priori.
Agrémentons en retrouvant l’exemple de l’araignée abordé au YS I.2
A l’apparition soudaine d’une araignée (!), beaucoup de personnes vont osciller du rouge (effroi), au vert (angoisse), au blanc (syncope !). L’araignée, de son côté, en apercevant l’humain, va peut-être, elle aussi, passer par les mêmes couleurs. Malheureusement, notre réaction d’humain sera celle de notre mental, comme par exemple :
imagination qui s’emballe :
araignée = énorme mygale poilue à 8 pattes qui court vite et qui peut me sauter dessus à tout moment pour me manger.
Souvenirs mélangés :
Expérience traumatisante issue de l’enfance et générée par la vision d’un parent effrayé,
Stigmate d’une angoisse engendrée par le récit passé d’une amie,
Film d’horreur.
Affect en submersion :
Angoisse, peur, torpeur [de se faire attaquer, de se faire piquer].
intelligence en berne, conduisant à des (ré)actions inappropriées :
Cris,
Fuite,
Supplication faite à l’entourage en vue d’une destruction immédiate de la potentielle menace,
Tentative d’anéantissement de l’insecte.
Un exemple excessif (quoi que :), mettant en lumière les possibles oscillations du mental, plus ou moins importantes, générant des actions inappropriées autour d’une vérité : celle d’un minuscule intrus apeuré ou complètement indifférent à la présence de l’humain, et qui tente simplement de trouver un bouquet de fleurs pour s’y réfugier.
A ce stade la vérité n’est donc pas connue, seule la méconnaissance règne dans la demeure mentale.
Les exemples sont nombreux, et ceci s’applique à tellement de choses. Réfléchissez-y !
Le coupable est-il réellement le déplaisir ?
La détestation résulte effectivement des expériences non plaisantes. Toutefois, si on est capable de faire preuve de prise de recul et d’analyse, le déplaisir peut être détaché des nouvelles expériences, même si elles semblent déplaisantes. Pour cela, il suffit de comprendre que la comparaison est issue de l’imagination ! Le mental propose une image résultante finale, alors que l’expérience n’est pas encore vécue. Il s’agit donc ici d’accepter et de maitriser l’angoisse naissante, en tentant de laisser de côté la petite voix intérieure qui nous suggère intensément de ne pas répéter l’expérience. Le problème semble donc plutôt issu du souvenir que l’on a d’un acte passé, et de son lot de sensations physiques, émotionnelles et psychiques associé.
Le problème est-il donc d’avoir une bonne mémoire ?
Le souvenir d’une expérience désagréable peut surgir à n’importe quel moment. Un contexte en particulier, même anodin, un regard insistant, un frelon qui passe, une fuite d’huile sous le moteur d’une voiture que l’on veut acquérir, tout est prétexte au souvenir. Dans ce cas et en un éclair, il y a résurgence mentale des éventuelles blessures issues d’expériences similaires, même si elles sont lointaines. Alors, et comme lors de l’expérience initiale, le mental semble instantanément revivre la mésaventure et sa finalité amère.
On retrouve donc l’idée que ce n’est pas forcément le déplaisir originel qui pose problème, mais son souvenir. Celui-ci nous fait hésiter d’y aller dans le moment présent, ou écarte totalement l’imagination que nous pourrions reproduire cela. En conséquence, sans mémoire, l’angoisse ne serait pas là et laisserait certainement plus de place à la réflexion et la pleine conscience.
Exemple
Avez-vous déjà observé un enfant de 5 ans aborder une piste de ski, dès lors qu’il a pris quelques cours avec son moniteur? Il part tout droit, et de préférence vers le bas… (!) Aucune angoisse n’est présente. Aucun souvenir n’est encore en mémoire. Il lui faudra attendre quelques belles ‘gamelles’ pour changer sa façon de voir le dénivelé. La mémoire aura emmagasiné l’expérience pas très sympa à vivre. Et si l’expérience est intense dans le déplaisir, alors dveṣa va grandir intérieurement (dans son mental) pour saboter toute nouvelle entreprise. L’enfant ira même à ne plus vouloir faire de ski le cas échéant.
Les cas sont nombreux et dveṣa est très lié à la notion de traumatisme (la détestation de l’eau après une noyade en est un autre exemple).
Cela dit, il est important de noté quand même la grande utilité de la mémoire : elle est aussi à l’origine de la prudence. La prudence est essentielle, la détestation peut-être pas.
Détestation versus désamour pour toujours : perte de confiance et isolement
On vient de voir que le déplaisir issu d’une expérience peut amener un mental à ne plus vouloir se projeter dans une expérience future. Dans ce cas, dveṣaḥ domine et devient source de détestation, de phobie ou encore de haine. Haine envers un résultat présupposé, qui n’a donc pas encore eu lieu. C’est la perte de confiance. Le mental procède à une généralisation des faits et de leur(s) résultat(s), la vie devient fastidieuse car les similitudes semblent foisonner.
Dans ce cas-là, seul l’isolement semble protéger, et l’on n’ose plus aller de l’avant.
La méditation et la détestation
Une expérience malheureuse ne devrait-elle pas être uniquement liée à la raison qui l’a fait naître ? Est-il certain que l’expérience future, plus ou moins identique à la précédente, donnera un résultat similaire à l’expérience passée ?
A ce stade de détestation, d’angoisse et d’isolement, que peut-on dire ? D’où vient le problème ? Est-il issu réellement de l’environnement comme on le pense, ou bien de soi-même ?
Combien de fois nous nous sommes déjà dit : « oh, eh bien finalement c’était bien :) » ?
Avec l’attachement, l’aversion est l’une des deux colorations mentales les plus facilement visibles. Être témoin de cela est une compétence nécessaire à développer. Cela permet d’étiqueter les pensées comme étant colorées. La méditation offre en ce sens la possibilité d’engager une étude sur soi (svādhyāya – YS II.1). Celle-ci est notamment proposée dans le kriyā-yogaḥ dont le but est, encore et toujours, d’apprendre à discerner la réalité : un apprentissage nécessaire pour enrayer la méconnaissance et se décrisper.
En fin de compte, n’est-elle pas finalement mignonne cette minuscule araignée, complètement inoffensive, au milieu de ses fleurs ? 😉