YS I.3 - tadā draṣṭuḥ svarūpe avasthānam

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Guillaume Alexandre
29 septembre 2021

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Au sommaire de l’article

  1. Traduction proposée
  2. Translittération
  3. Notions préliminaires
  4. Signification de « tadā »
  5. Signification de « draṣṭuḥ »
  6. Signification de « svarūpe »
  7. Signification de « avasthānam »
  8. Etude du sutra
Temps de lecture : 11 minutes

Traduction proposée

« Alors – dans l’état de yoga – la totale présence à Soi-même s’établit »

Ce sutra est court, cependant il est plein de sens pour celui qui en discerne sa profondeur. En effet, et comme nous allons le voir par la suite, nous pourrions ajouter, à cette traduction, des précisions sur ce qu’est cette « totale présence à Soi-même » : il s’agit d’un état mental permettant d’accueillir l’expression du monde dans sa vraie nature, sans extrapolation, sans subjectivité et sans erreur. C’est en quelque sorte la mise à disposition d’une incroyable lucidité sur la Vie. Par ce biais, la pleine connaissance de nous-même est également dévoilée : on sait alors qui l’on est réellement. La vision du « Soi », avec un grand ‘S’, s’établit.

Translittération

« tadā – draṣṭuḥ – svarūpe – avasthānam »

Notions préliminaires

Conscience (état de)

Organisation de son propre psychisme qui, en lui permettant d’avoir connaissance de ses états, de ses actes et de leur valeur morale, lui permet de se sentir exister, d’être présent à lui-même.

Activité mentale dirigée, rendue possible par l’attention et la concentration, et qui permet de déterminer son propre contenu (le contenu mental).

Par opposition à « ne pas être » (inconscience, automatisme, néant), l’état de conscience c’est « être » : une présence soutenue à soi-même et à l’instant présent.

Principe
Origine première d’une chose – Début absolu – Source.

CNRTL : Centre National de Ressource Textuelles et Lexicales / Yogapage

/!\ Principe de conscience

Patañjali, dans son ouvrage, fait régulièrement référence au principe de conscience : ce serait un concept, une source, fondamentale, présente en chacun de nous, génératrice de cette faculté qui nous permet d’être en recul (de prendre du recul), de ‘nous regarder nous-mêmes’ et ainsi, de savoir qui nous sommes réellement, en rapport avec notre environnement. Ce halo de pleine conscience serait présent au plus profond de nous-même, souvent caché. Le yoga propose de nous rapprocher de cette source afin de tenter la concevoir, la découvrir, la comprendre. Le but est celui d’expérimenter, de vivre, d’être de plus en plus souvent dans une ‘position intérieure’ d’éclairage, de pure conscience, de connaissance et de compréhension, à des fins de bien-être personnel.

Cette notion de « principe de conscience » peut être abordée de différentes façons :

> Certaines personnes pourront entrer dans le concept avec des méthodes terre à terre. En effet, comme nous pourrons le voir plus tard, cette idée de principe de conscience peut être abordée de façon très concrète. Elle est notamment la base de beaucoup d’études contemporaines.
> D’autres apposeront un lien spirituel à la notion.

Que disent les yoga sutra de Patanjali ? « Peu importe, pourvu le résultat » ! Rappelons qu’ils sont destinés à un vaste public et aucunement réservés à une élite. Ils présentent des concepts dédiés à l’humain quelles que soient son origine, ses croyances et sa religion. ils ne nécessitent aucune soumission quelle qu’elle soit et sont tolérants.

Bien sûr, si l’on est très « fermé » par l’idée des religions, une première lecture de la définition du « principe de conscience » pourrait faire jaillir un avis direct et tranché de ce qu’est le yoga, excluant l’analyse cartésienne, poussant ainsi à s’en détourner. Ceci est à respecter et il ne faut pas se forcer.

Quel que soit le chemin emprunté pour concevoir cette notion de principe de conscience, direct, via la spiritualité, ou indirect, par la réflexion et l’analyse mentale, le fait de la comprendre – ce qui ne veut pas forcément dire de l’admettre immédiatement – peut être un moyen intéressant dans la quête d’un mieux être.

Enfin et c’est important, la panoplie des outils et des modes d’emploi offerte par le yoga de Patañjali suffit à elle-même pour apporter des effets très positifs, et ceci sans se ‘prendre trop la tête’.

Yogapage

Signification de « tadā »

tadā (en translittération) : [adverbe] – à ce moment-là, dans ce cas, alors.

CDSD : le dictionnaire sanskrit digital de Cologne

Il s’agit d’une transition faisant référence au sutra précédent YS I.2.
Patañjali, après avoir spécifié ce qu’est le yoga, définit à présent l’état de yoga.

Signification de « draṣṭuḥ »

draṣṭṛ (en translittération) : un voyant, celui qui voit, un spectateur – Dans le sens des yoga sutra, on peut traduire par ‘celui qui perçoit’.

CDSD : le dictionnaire sanskrit digital de Cologne / Yogapage

Par ce mot, Patañjali désigne le principe de conscience défini un peu plus haut.

Encore une fois, l’approche peut-être cartésienne ou spirituelle.

Côté cartésien, drastuh pourrait être assimilé à un état d’esprit non soumis encore à l’expérience de la vie, c’est à dire non encore assujetti aux fluctuations du mental issu de l’expérimentation et l’interaction au monde physique (cf. vrtti, sutra précédent YS I.2). Une source de pure contemplation (un spectateur), très proche de ce que nous avons tous connu un jour ; le jour de notre conception ! A l’instant de cette précocité de vie sur terre, le petit être n’est doté d’aucune connaissance mentale (le disque dur est vierge de données) et aucun mécanisme de réflexion intellectuelle issu d’un vécu sur terre ne s’enclenche : il n’y a pas de routine, pas de rituel, pas d’habitude, pas de formatage mental ; juste des besoins. Accueillir l’expression du monde telle qu’elle est, consiste alors en l’unique but, indispensable et nécessaire, pour la suite de l’expérience sur terre. A ce stade primaire, le rôle n’est donc que d’être spectateur, offrant alors une vision de la vie dans sa vraie nature, sans extrapolation, sans subjectivité, sans erreur : juste une perception, une pure contemplation, un accueil véritable.

Bien entendu, passée la première seconde de vie, tout cela change ! Et cela commence dans le ventre de la mère. Le statut ‘d’acteur (mental)’ se met progressivement en route à côté de celui de ‘spectateur’, ceci selon l’assimilation faîte du concept « d’interaction possible avec l’environnement ».

Côté spirituel, la conception du mot drastuh est généralement accueillie avec peu de débat intellectuel, comme une évidence : il y aurait une source en chacun de nous, un spectateur, un habitant intérieur d’une très grande clarté, qui observerait le monde extérieur à lui-même (le monde matériel) au travers du mental. Il s’agit ici d’un concept plus proche du cœur que de l’entendement intellectuel : toute personne ayant la foi désignera cette notion selon ses propres convictions : croire en la « Vie » peut en être une orientation.

Pour rappel, le yoga n’est pas une religion, c’est une philosophie de vie. Nul part les yoga sutra de Patanjali abordent le concept de « Dieu » ou l’idée de se « relier à un Dieu ». Le yoga se rattache plutôt au ‘principe de l’univers’ et ceci à des fins de comprendre son fonctionnement. C’est pour cela que le yogi s’efforce de se situer dans l’ensemble de la création, en cherchant d’abord à se connaître lui-même au travers d’exercices impliquant le corps, l’intellect et la sensibilité.

Signification de « svarūpe »

svarūpa (en translittération) : beau, agréable, charmant – Sa propre forme, son état naturel – Sa vraie nature.

DDSA : le dictionnaire pratique sanskrit-anglais

Svarupe qualifie drastuh (le principe de conscience) : « dans sa vraie nature ».

Signification de « avasthānam »

avasthānam (en translittération) : debout, résidant, demeurant – Dans le sens des yoga sutra, on peut traduire par ‘Edifié, élevé à la première place, sur le devant de la scène’.

DDSA : le dictionnaire pratique sanskrit-anglais / Yogapage

Avasthanam indique l’état de drastuh (le principe de conscience) : il est dévoilé. Il devient l’acteur principal et il est placé sur le devant de la scène.

Etude du sutra

Reprenons :

Après avoir défini ce qu’est le yoga dans le sutra précédent, Patañjali apporte maintenant un éclairage de ce qu’est l’état de yoga.

« tadā draṣṭuḥ svarūpe avasthānam »

tadā :

Alors, dans l’état de yoga, quand le psychisme est maîtrisé complètement et que les fluctuations du mental sont à l’arrêt…

draṣṭuḥ :

drastuh (le principe de conscience), qui est un concept intellectuel pour les cartésiens ou une source de croyance pour les personnes ayant la foi…

svarūpe avasthānam :

… est dévoilé (svarupe), se laissant apparaître tel qu’il est vraiment, dans sa vraie nature (avasthanam).

Ce sutra est difficile à comprendre si l’on ne cerne pas exactement ce qu’est drastuh (le principe de conscience). La définition faite plus haut est une base importante à connaître pour la compréhension. Un exemple peut aussi éclairer :

Exemple pour une analyse cartésienne

Imaginons un petit robot ménager, de type aspirateur, ayant la tâche de s’occuper de façon autonome du nettoyage des sols, dans une maison. Tout beau, tout neuf, tout propre, il remplit sa tâche à merveille. Allant de pièce en pièce, progressivement et à force de passage, il apprend à mémoriser les endroits les plus sales, ce qui lui permet d’être de plus en plus performant et rapide, aussi.

Cependant voilà, au bout d’un temps, à force de passage et de besogne, il se salit. La poussière le recouvre davantage chaque jour et ses yeux (ses capteurs) deviennent de moins en moins performants. Heureusement, il est doté naturellement d’une aptitude lui permettant de se servir de son expérience, au travers de sa mémoire, pour poursuivre son travail par automatisme, déduction et subjectivité. Ainsi, il reste toujours très attentionné dans les lieux habituellement sales, comme par exemple la salle à manger. Il met aussi en lumière, quand le cas se présente, que deux miettes de pain aspirées, proches géographiquement l’une de l’autre, forcent à penser qu’il y en a tout un tas autour et qu’alors, il faudra faire plusieurs passages à cet endroit. Aussi, lors de l’impact sur un obstacle inhabituel, il déduit que la commode du salon a été déplacée et qu’il faut mémoriser le nouvel emplacement, etc… Une semi-intelligence artificielle.

Suivant sa logique personnelle, et malgré la quantité de saleté qui s’accumule toujours sur lui, tête baissée, il poursuit son travail dans un univers qu’il interprète de plus en plus et cela, sans s’en rendre compte : il s’enferme dans un environnement imaginaire qu’il croit réel. Imaginaire, car la commode n’est en fait qu’une chaise, que les miettes de pains sont des bris de verre qu’il n’aspire normalement jamais, car potentiellement dangereux pour lui, et que la salle à manger est désormais devenu une chambre… Il s’encrasse physiquement et son logiciel se pollue de données erronées : son efficacité diminue, il comprends de moins en moins sa réalité fictive et souvent, ses batteries s’épuisent avant qu’il ait terminé son travail. Un beau jour, à force de réflexions et d’égarements sans fin, ses circuits s’échauffent et, similaire à un éclair le traversant de part en part, une étincelle jaillit en son cœur : il tressaille un moment, son logiciel interne se met a l’arrêt, le robot s’immobile net, la lumière dans ses yeux s’estompe, c’est l’abandon…

La masse d’information volubile et exubérante qui l’animait intérieurement dans sa quête d’être, coût que coût, disparaît immédiatement. La couverture verbeuse issue de ses réflexions se dissipe, laissant place à présent à un vaste espace intérieur empli de silence.

Ce que ne savait pas le petit robot – car trop enfouie en lui jusqu’à présent, cachée, non accessible – c’est qu’une entité logicielle dans l’entité logicielle était présente. Une fonction informatique très utilisée dans le monde industriel, qui permet de jouer le rôle de spectateur, d’observateur global des évènements. Il s’agit d’une entité qui perçoit le monde extérieur à elle-même, et qui n’a d’autre fonction que d’être spectatrice du tout : spectatrice de la logique interne du petit robot (son fonctionnement), et également des réponses que se fait le robot à lui-même. Une qualité qui permet à cette entité de percevoir le monde extérieur au robot (la maison) selon la compréhension qu’en fait le robot. A ce stade, peut-être pensez-vous alors qu’il n’y a donc pas de grande différence puisque l’entité voit la même chose que le robot. Et bien si, puisqu’elle perçoit aussi la façon dont le robot est arrivé au résultat. Ainsi, cette entité informatique, conçue non pas pour aspirer la poussière, mais pour observer de façon globale, est une conscience éclairée de ce qui se passe et du comment et pourquoi chaque résultat arrive : rien n’est caché ou omis par quelques réflexions trompeuses, elle voit l’ensemble les tenants et les aboutissants. En quelque sorte, elle perçoit la réalité intérieure et extérieure du petit robot, dans sa vraie nature. C’est un accueil pur, sans filtre ni analyse.

Cette entité dans l’entité fait partie intégrante du robot. Elle est le petit robot tout comme le petit robot est cette entité.

Maintenant que tout a changé, que le remue-ménage, le vacarme, l’agitation, les perturbations intérieures du robot se sont dissipés, le silence fait apparaître l’entité observatrice. Le robot en prend conscience et s’y lie, puisque rien d’autre n’est plus. Dès lors, la réalité lui apparaît. Il prend du recul, comprend son fonctionnement et ses erreurs, il devient présent à lui-même, il sait tout, puisqu’il est l’entité…

Alors, en une fraction de seconde, comme une évidence, il active son écran multimédia et affiche le message suivant :

« Robot à l’arrêt, nettoyage total indispensable avant redémarrage, merci. »

Dans cet exemple, drastuh est l’entité informatique qui perçoit. Elle est présente depuis la conception du robot. Cependant, tellement occupé à appliquer ses tâches quotidiennes, l’aspirateur autonome n’avait pas conscience de sa présence. Il n’avait, d’ailleurs, jamais pris la peine de s’analyser intérieurement, car il pensait se connaître. Une panne, issue d’un dysfonctionnement provoqué par sa méconnaissance, lui permet d’entrer en contact avec l’entité, source de conscience. Le robot reçoit alors un éclairage sur son état présent, et aussi sur le pourquoi de son état : une connaissance véritable est acquise, elle lui permet de trouver l’issue finale. C’est certain, à présent, au travers de cette expérience et de la mémorisation qu’il en a faite, que le petit robot se dit qu’on ne l’y reprendra plus : il restera lié à cette source de perception éclairante, il restera dans l’état de yoga.

De nombreux mois plus tard, le petit robot, en fonctionnement, est brusquement submergé par une vague d’eau et de détergeant issue d’un seau renversé…

Comment réagira t-il dans la tourmente et l’urgence du moment ? Sera t-il en mesure de prendre du recul ? De percevoir et de comprendre sans être envahi d’informations erronées ? Depuis tous ces mois passés, a t-il bien gardé le contrôle sur sa couverture verbeuse (sa réflexion), afin quelle se fasse légère et qu’il soit en capacité de rester lié à son principe de conscience ?

« Alors – dans l’état de yoga – la totale présence à soi-même s’établit [laissant apparaître qui l’on est vraiment, et offrant l’éclairage mental indispensable pour discerner et accueillir l’expression du monde tel qu’elle est, dans sa vraie nature, sans extrapolation, sans subjectivité, sans erreur] »

Du côté de la réflexion ésotérique et/ou si l’on est croyant : éveil à la conscience, notre dualité

L’idée de l’éveil à la Conscience, que le Yoga a toujours conservée, objet de ce sutra, part du principe que l’être humain est fait de deux choses distinctes, mais intimement liées :

  • De la matière (prkrti) : un corps, de la chair, des os, un mental qui peut absorber des informations et fournir des réponses, une personnalité qui fait que l’on est comme ceci ou comme cela, des émotions, des sentiments et de l’énergie pour mettre en œuvre tout cela.
    La matière est caractérisée par le changement (on se transforme au fil du temps), ainsi qu’une échéance (il y a une fin, un jour).
  • Une Conscience pure (purusa) : Être suprême, Observateur intérieur, principe spirituel, Âme.
    La Conscience est caractérisée par l’absence de changement et l’éternité.

Donc, en quelque sorte, il y aurait un mariage fait à notre propre insu, au moment de notre conception, mariage au cours duquel la matière et la Conscience s’associent.
Dans la pratique traditionnelle, l’objectif premier est de prendre conscience que nous sommes constitués de cette double nationalité, à la fois temporelle (matière) et éternelle (Conscience pure). Généralement il y a confusion, et bien souvent, c’est au travers de la maladie, des accidents ou des changements brutaux d’orientation, que nous nous rendons compte de notre erreur. Alors, parfois, le besoin d’établir une relation avec la conscience pure (drastuh, purusa) se fait sentir, pour une question de bien-être, et de liberté.

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